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Gail Ouellette, Ph.D. CGAC, Généticienne/conseillère en génétique, Regroupement québécois des maladies orphelines Québec, Canada http://www.linkedin.com/profile/view?id=108787930&trk=hb_tab_pro_top Site web: www.rqmo.org Voir notre page Facebook

vendredi 22 novembre 2013

MALADIES RARES CONFONDUES AVEC MALTRAITANCE D’ENFANTS. Syndrome d’Ehlers-Danlos – 3ième partie

Accuser faussement les parents de maltraitance envers son bébé ou son enfant est certainement l’une des pires conséquences de l’absence de diagnostic d’une maladie rare – mise à part une mort qui aurait pu être évitée. L’émission de télévision Enquête de Radio-Canada raconte une telle histoire d’horreur devenue réalité pour des parents du Québec (« Présumés coupables », 21 novembre 2013).


Il est connu que des signes ou symptômes de certaines maladies rares peuvent être confondus au premier abord avec des signes de mauvais traitements. Certaines maladies pour lesquelles cette confusion a été rapportée ou documentée dans la littérature médicale sont : l’ostéogenèse imparfaite (maladie des os de verre), le syndrome d’Ehlers-Danlos, des problèmes de coagulation, la déficience en vitamine D (rachitisme) et même la maladie de Crohn qui a déjà été confondue avec de l’abus sexuel. Heureusement, dans la grande majorité de ces cas, avec une équipe de médecins bien avisée et la consultation d’experts, la confusion est dissipée assez rapidement au grand soulagement des parents.

La maladie des os de verre (l’ostéogenèse imparfaite) est la maladie qui a été le plus souvent confondue avec de la maltraitance dans le passé étant donné que les signes principaux sont les fractures osseuses. Cependant, en 2013, il est surprenant qu’il soit difficile d’éliminer cette hypothèse lorsque plusieurs fractures sont observées chez un bébé. En effet,  cette maladie est plus connue aujourd’hui (même dans la population générale), on a amassé beaucoup de nouvelles connaissances sur celle-ci, et enfin, étant donné la médiatisation et les publications médicales concernant les cas de fausses accusations de maltraitance, les médecins et les autorités sont beaucoup plus informés à ce sujet (habituellement, l’ostéogenèse imparfaite est incluse dans la liste de facteurs à éliminer dans des cas d’abus signalés à tout organisme de protection d’enfants). Les examens radiologiques, les tests biochimiques et les analyses génétiques peuvent habituellement confirmer le diagnostic de l’ostéogenèse imparfaite. Cependant, cette maladie est en fait un ensemble de maladies osseuses avec des similitudes et des différences. Il y a des formes rares de cette maladie déjà rare en soi (d’ailleurs, l’un des bébés dont on raconte l’histoire dans le reportage s’est avéré atteint du syndrome de Bruck, une forme d’ostéogenèse imparfaite congénitale). Un seul test génétique ne suffit pas toujours et il serait normal que le médecin au service de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pense à consulter un expert pour en faire le diagnostic (par exemple, un médecin généticien ou un spécialiste des maladies osseuses). Ce qui est ironique dans le cas présenté à l’émission Enquête est que l’un des centres mondiaux d’expertise de l’ostéogenèse imparfaite est à Montréal (Hôpital Shriners)!

Pour ce qui est du syndrome d’Ehlers-Danlos (SED), malheureusement, cette maladie est souvent oubliée dans le diagnostic différentiel de la maltraitance.  Pourtant, plusieurs cas ont été rapportés dans la littérature médicale et presque tous les médecins spécialistes de ce syndrome ont été confrontés à des cas de suspicion de maltraitance avérés non fondés. Les signes ou symptômes du syndrome d’Ehlers-Danlos, qui pourraient être confondus avec des signes de sévices, sont :  ecchymoses, hémorragies, luxations, dislocations, et quelques fois des fractures, etc. Le Dr Claude Hamonet, spécialiste de médecine physique et du syndrome d’Ehlers-Danlos, a rapporté que le Syndrome des enfants battus a été évoqué comme premier diagnostic dans 20 sur 135 (15 %) de ses jeunes patients atteints du SED.

« Je suis régulièrement confronté à de fausses accusations de maltraitances dans le SED. Le plus souvent pour ecchymoses. Il y a une ostéopénie dans le SED et quelques fractures rares. »
« Le Syndrome des enfants battus (ou des femmes battues) pourrait être évoqué, à tort, devant un jeune enfant avec des luxations articulaires ou surtout des ecchymoses et hématomes multiples. Les conséquences, pour les parents, ou le conjoint, peuvent être lourdes. Nous avons rencontré le cas d’une mise en examen et aussi celui d’une dénonciation abusive par un médecin psychiatre au Procureur de la République, suivie de deux ans de surveillance familiale dans la suspicion. »
(Dr Claude Hamonet, clinique du syndrome Ehlers-Danlos, Hôpital Hôtel-Dieu, Paris, France; communication personnelle et citation sur site web du Dr Hamonet )

Voir un cas vécu qui a été médiatisé récemment aux États-Unis: « Rare bone disease causes Woodlands dad to be falsely charged with child abuse ».


Le syndrome d’Ehlers-Danlos est plus fréquent dans la population que l’ostéogenèse imparfaite. Pourquoi les médecins ne pensent-ils pas alors que ce syndrome puisse être la cause des « blessures » dans certains cas de supposées maltraitances où il y aurait peut-être lieu de penser à une maladie? Parce que – comme de nombreuses maladies rares - cette maladie est inconnue ou mal connue d’une majorité des professionnels de la santé (voir billets précédents de ce blogue). De plus, il y a plusieurs formes de SED (dont l’une qui a des caractéristiques de l’ostéogenèse imparfaite), il peut y avoir des présentations anormales de la maladie et d’autres facteurs qui interviennent pour l’exacerber. Encore une fois, des experts devraient être consultés et des expertises médicales plus poussées devraient être effectuées avant de conclure à la maltraitance. D’autant plus que le SED est une maladie héréditaire dominante et que, dans la majorité des cas, l’un des parents a des signes du syndrome.
Comme l’ostéogenèse imparfaite, le syndrome d’Ehlers-Danlos devrait être sur la liste de la DPJ  comme maladie pouvant « imiter » la maltraitance. Il en va de la présomption d’innocence des parents, d’une défense pleine et entière de leur cause, d’une justice bien rendue, mais surtout des conséquences désastreuses du retrait d’un enfant de sa famille naturelle pour des raisons non justifiées.

Information additionnelle :
- Une liste de maladies pouvant être confondues avec de mauvais traitements :
Medical conditions that can mimic abuse
Bruises
Hemophilia
Leukemia
Postinfectious vasculitides
Idiopathic thrombocytopenic purpura
Melanocytic nevus
Cupping
Coining
Breaks
Osteogenesis imperfecta
Vitamin D deficiency (rickets)
Vitamin C deficiency (scurvy)
Chronic kidney disease
Toddler fractures
Bonks
Bleeding diatheses
Glutamic aciduria
Vitamin K deficiency
Birth trauma
Burns
Stevens-Johnson syndrome
Staphylococcal scalded skin syndrome
Kawasaki disease
(référence : Emergency Department Evaluation of Child Abuse, Aaron N. Leetch, Dale Woolridge,  Emerg Med Clin N Am 31 (2013) 853–873)

- Article de revue sur le syndrome Ehlers-Danlos : Le syndrome d’Ehlers-Danlos, ça existe

- Références sur le syndrome d’Ehlers-Danlos et la maltraitance :
1.       Hemorrhages after minor trauma. Haddad HM. Ophthalmology. 112(4):737-8, 2005 Apr. [Comment. Letter]
2.       The mistaken diagnosis of child abuse: a three-year USAF Medical Center analysis and literature review. Wardinsky TD, Vizcarrondo FE, Cruz BK. Nurs Times. 1987 Sep 2-8;83(35):36-7.
3.       Not a case of abuse. Miller J. Br J Dermatol. 1984 Sep;111(3):341-5.
4.       Ehlers-Danlos syndrome type IV mimicking non-accidental injury in a child. Roberts DL, Pope FM, Nicholls AC, Narcisi P. Arch Dermatol. 1984 Jan;120(1):97-101.
5.       Ehlers-Danlos syndrome simulating child abuse. Owen SM, Durst RD Arch Dermatol 1984 Jan; 120(1) :97-101.
6.       Tijdschr Kindergeneeskd.Tijdschr Kindergeneeskd. 1984 Aug;52(4):152-5. [Bruising: a coagulation disorder, abuse or abnormality of the vessel wall?]. Van Oostrom CG, Werkman HP, Fiselier TJ.

- Autres maladies rapportées dans la littérature médicale pouvant imiter des sévices chez l’enfant : syndrome de Gardner-Diamond, syndrome de Caffey, syphilis congénitale, infections ou maladies urogénitales, syndrome phagocytaire, hydrocéphalie externe bénigne, etc.